Salaün
Magazine
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Le paradis se cache dans une vallée du Kirghizstan, l’enfer aussi ! Hier, à
la sortie de l’Ouzbékistan, la vallée du Ferghana nous avait éblouis. Par la
beauté de ses paysages, la richesse de sa terre, la gentillesse tranquille
et l’amabilité souriante de ses habitants. Nous ne savions pas ce qui
nous attendait aujourd’hui. En milieu de matinée, nous avons quitté Osh
pour prendre la direction de Naryn, à 380 kilomètres vers dans le nord-
est. 380 kilomètres sur la carte !
La route la plus rapide et la meilleure nous est déjà fermée. Elle nous
obligerait à faire une brève incursion en Ouzbékistan, pays quitté la veille
et pour lequel nous n’avons plus de visa.
Une autre, raisonnable, nous fait partiellement contourner les massifs
montagneux du sud. Une troisième, enfin, franchit directement ces mas-
sifs, mais elle n’est plus, sur nos cartes, qu’un trait fin qui semble même
s’effacer entre deux courbes de niveaux. Le choix devra se faire une cin-
quantaine de kilomètres après Osh. A gauche, c’est une longue journée
de route qui s’annonce. A droite, c’est une très longue journée avec une
route, balisée de points d’interrogation. Mais la tentation de vivre cette
traversée du Kirghizstan dans toute sa grandeur et sa rudesse de pays
montagnard est la plus forte. On la vivra encore plus intensément dès
lors qu’on se laissera inconsidérément tenter par un raccourci dans ce
qui en était déjà un !
Le pays du cheval
Nous prenons donc la route incertaine. Celle qui plonge en plein cœur,
sans détours et sans artifices, des montagnes du Ferghana. Car nous
sommes toujours dans le Ferghana.
Très vite, le décor devient somptueux. Le chemin, tortueux, improvisé au
fil des passages de troupeaux, escalade sans précaution de petits cols
ouvrant sur des vallées paradisiaques qui semblent creusées dans une
végétation d’une luxuriance étonnante. L’herbe est grasse et les fleurs
triomphantes. Fruits et légumes y poussent au bon vouloir de l’homme et
au simple prix de sa peine. Plus nous nous avançons dans ses vallées qui
se succèdent sans fin, plus les perspectives touchent à l’infini. Le paradis
doit se nicher au fond de l’une d’entre elles. Petit à petit, un cahot après
l’autre, une piste en amenant une autre, nous quittons le domaine des
paysans pour pénétrer dans celui des éleveurs. Loin des routes, les ani-
maux vivent en paix et en totale liberté, gardés par des bergers indolents
qui savent que les brebis, le soir venu, les retrouveront, pour une nuit,
dans leurs enclos. Les vaches, elles aussi, baguenaudent, insouciantes
et affairées. Mais le roi, c’est le cheval. Quand il n’est pas monté par
un cowboy kirghize, coiffé de son chapeau pointu traditionnel ou par un
enfant qui semble né sur une selle, il inscrit, au gré de son humeur, son
élégance insolente sur la crête d’une colline, fait briller au soleil sa robe
de pur-sang ou laisser flotter au vent une crinière de seigneur.
L’histoire du Kirghizstan s’est écrite à cheval. La journée s’avance. Plus
vite que notre route. Les chemins n’en sont plus. Tout juste des traces. Et
nous sommes entrés, pour chercher une sortie à cette escapade qui ne
semble plus vouloir prendre fin, dans le pays des nomades. Les derniers
d’Asie centrale. A la belle saison, ils plantent leurs yourtes ici ou là, au
sommet d’une colline ou dans le creux d’un vallon. Durant tout le jour,
les hommes s’en vont conduire les troupeaux sur des pâturages vierges,
laissant femmes et enfants au campement, conçu comme une petite
ferme éphémère avec ses volailles et ses chiens et chats. Tandis que
les femmes restent courbées sur leur besogne, les enfants viennent vers
nous et nous regardent avec curiosité. Nous sommes des intrus. Sans
doute assez drôles quand nous leurs demandons comment redescendre
Extrait du carnet de route >>>>> >>>>> >>>>> >>>>> >>>>> 7 juin. Kirghizstan : Osh-Naryn
Des enfants nomades
en haut d’un col au
Kirghizstan