Salaün
Magazine
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reportages
d
’
ici
et
ailleurs
|
le
transsibérien
lise que notre prochain vrai arrêt n’est “plus” qu’à 1000 km:
une bagatelle en Sibérie !
Retour en arrière. Quelques heures plus tôt, le Transsibérien
s’anime aux sons des guitares de nos voisins de wagons, alle-
mands pour la plupart, guidés par une Russe. Tout commence
au wagon-restaurant par une soirée de chants russes. Un des
barmen du train prend le relais et interprète de nombreuses
chansons du répertoire russe, notamment soviétiques, à
même de mouiller les yeux de la guide. Pour la plupart d’entre
nous, au fil des chansons, ce ne sont pas les paroles, indé-
chiffrables, mais la vodka qui fait briller les regards. Heureux
de pouvoir échanger quelques mots avec des francophones,
à la fermeture du bar, nos voisins allemands nous invitent à
nous serrer dans un wagon pour ouvrir d’autres bouteilles de
vodka. Des instants de partage particulièrement émouvants
et symboliques au cœur de la Russie orientale… De la chute
du mur de Berlin aux menaces qui planent sur le mouvement
de l’intégration européenne, en passant par le sort des réfu-
giés, le cœur de l’Europe bat fort dans le wagon. Le mode de
transport, dont la simplicité favorise l’échange, le sentiment
de réaliser un voyage exceptionnel, la joie de se sentir euro-
péens dans un Orient russe où les frontières sont souvent lin-
guistiques : autant de facteurs qui apportent un supplément
d’âme et de chaleur à la nuit transsibérienne.
Au kilomètre 5185, le train s’arrête à deux pas de la rivière
Angara, qui traverse Irkoutsk, surnommée jadis “le Paris de
la Sibérie”. Ville stratégique pour le commerce avec l’Orient,
notamment de la soie et de la fourrure, Irkoutsk était aus-
si une ville de garnison tenue par les Cosaques, chargés de
contenir la menace bouriate, ce peuple mongol de Sibérie.
Ville minière, elle connut un afflux de pionniers et devint un
centre industriel et scientifique important. Bien qu’elle ait
souffert de graves incendies et malgré le socialisme, Irkoutsk
a en partie gardé son âme commerçante et bourgeoise. Un
peu anarchique, elle fascine davantage en hiver, lorsque ses
magnifiques isbas de bois richement ciselées émergent d’un
épais manteau neigeux. Avec ses grandes artères néoclas-
siques et un tout nouveau quartier de restaurants, Irkoutsk
est toutefois une halte assez dépaysante au cœur de la Sibérie.
Mais c’est avant tout pour accéder au mythique lac Baïkal,
situé à 70 km, que l’on s’y arrête.
Sur la route qui mène d’Irkoutsk au Baïkal, le musée de Taltsy
permet de découvrir l’architecture traditionnelle sibérienne
à travers une série de bâtiments rassemblés dans une épaisse
forêt. Chapelle, moulin, forteresse, fermes : on se croirait re-
venu au temps de la conquête de l’Est russe, d’autant qu’une
petite prison rappelle celles que l’on trouve dans les villes
fantômes de l’Ouest… américain.
À l’embouchure de la rivière Angara, le panorama s’ouvre
soudain sur le majestueux lac Baïkal, la cinquième plus
grande réserve d’eau au monde. C’est de Listvianka, qui est à
la fois un petit village et un lieu de villégiature, que partent la
plupart des balades à pied, en bateau, ou, l’hiver, en traîneau
et même en voiture sur le lac gelé. En ce début mai, les eaux
du lac sont limpides et les familles flânent tranquillement sur
la petite plage. L’animation est assurée par quelques vendeurs
LES DÉCEMBRISTES
C’est en Sibérie et notam-
ment à Irkoutsk que
furent condamnés à l’exil
une centaine d’officiers
qui, en décembre 1825,
avaient fomenté un coup
d’État pour instaurer une
monarchie libérale à l’an-
glaise en place du régime
autoritaire du tsar Nico-
las I. Leur tentative ayant
échoué, ces officiers uto-
pistes issus de la noblesse
furent contraints à l’exil
et aux travaux forcés en
Sibérie. Leurs familles les
accompagnèrent en exil
et c’est aux femmes des
“Décembristes” que l’on
doit l’émergence à Irkoutsk
d’une vie culturelle et
sociale calquée sur celle
de l’Occident pétersbour-
geois. Les plus célèbres
d’entre elles, dont Maria
Volkonskaya, surnommée
la princesse de Sibérie,
jouissent d’un véritable
culte en Sibérie. Un musée
consacré à l’histoire des
décembristes est d’ail-
leurs installé dans une de
leurs maisons au cœur
d’Irkoutsk.
Portrait de Maria Volkonskaya, surnommée la princesse de Sibérie. Elle fut la figure principale
des épouses des conjurés décembristes qui accompagnèrent leurs époux déportés en Sibérie à
partir de 1825. Le poète Pouchkine a écrit plusieurs poèmes sur elle.
Page de droite : pêcheur à Listvianka, un petit port et lieu de villégiature sur le bord du lac Baïkal.