Salaün
Magazine
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reportages
d
’
ici
et
ailleurs
|
le
transsibérien
à la nature. Dans les cadres posés sur la commode, les visages
de leurs enfants, tous partis occuper des postes qualifiés en
ville : reviendront-ils eux aussi vivre en yourte un jour? “Ils
viennent toujours passer des vacances ici avec leurs propres
enfants, nous explique la maîtresse de yourte. Ça leur fait du
bien.”
Je repasse le film de ces échanges simples autour du poêle à
bois lorsque je m’endors à mon tour sous une yourte en fin
de journée. Aux quatre coins du pays, de petits campings de
yourtes accueillent les visiteurs, dont beaucoup de Mongols.
Dormir en yourte dans un paysage d’une beauté boulever-
sante est une expérience unique. Toutes les deux ou trois
heures, un Mongol frappe à ma porte pour venir recharger le
poêle à bois qui chauffe ma yourte. Je me rendors bercé par le
rythme d’un fier galop, celui de mon cheval mongol, à moins
que ce ne soit par le trot familier du Transsibérien.
Le train n° 24 d’Oulan-Bator à Pékin est chinois. Oubliée la
retenue des provodnitsa russes : ici, les chefs de wagon et
employés du train s’interpellent bruyamment, les bols de
nouilles passent de main en main et une joyeuse anarchie
s’empare du wagon. Nous avons parcouru 6700 km en train
depuis Moscou et il nous reste moins de 2000 km à parcourir
jusqu’à Pékin ! Deux nuits pour profiter d’un train à l’am-
biance très différente des premiers. Ici, pas de 1
re
classe, les
touristes sont mélangés aux Russes, Mongols ou Chinois qui
se rendent à Pékin. Deux étudiantes mongoles empruntent
le “Transsib” pour se rendre… aux USA. “Nous allons étudier
deux mois dans une université américaine, nous expliquent-
elles en distribuant les cartes pour une nouvelle partie de
Uno. C’est beaucoup moins cher pour nous de venir prendre
le train à Pékin que de partir d’Oulan-Bator.”
Le train quitte l’ancienne ville de feutre, dont les tentacules
de béton s’élèvent sur les collines environnantes striées
d’immeubles inachevés, la faute à la crise. La ville fait place
à la steppe et on se délecte d’observer la courbure du train
au détour d’une colline, de photographier à la sauvette un
troupeau de chevaux parcourant tranquillement d’immenses
prairies, de détailler l’urbanisme exotique des petites bour-
gades mongoles, d’apercevoir, de loin en loin, une yourte
isolée, de deviner sa chaleur dans un paysage battu par les
vents. La steppe devient de plus en plus sèche et, passé la
gare de Choir, on entre sur les terres arides du désert de Gobi.
On aperçoit au loin des mirages nous laissant croire à des
étendues d’eau posées par magie sur l’horizon. Des cadavres
d’animaux, chèvres, moutons, chameaux se décomposent ici
et là, et l’on devine que, d’une année à l’autre, en fonction
des pluies, la vie avance et recule dans l’immensité du désert.
Je repense à cette traversée du Gobi en véhicules 4x4 lors du
grand raid Brest-Qingdao, et à cette famille d’éleveur de cha-
meaux qui nous avait accueillis dans sa yourte.
Mais enMongolie, contrairement à la Russie, le Transsibérien
traverse en solitaire la majesté du désert. Les gares sont très
rares et, après notre deuxième arrêt, à Sainshand, nous ne
verrons plus âme qui vive jusqu’à Zamyn-üd, à la fron-
tière chinoise. Nous en profitons pour préparer nos plats de
nouilles, achetés à la va-vite sur le quai. Détail amusant, dans
À gauche : à moins de deux heures d’Oulan-Bator, le parc national de Gorky-Terelj offre une pause-nature éblouissante aux passagers du Transsibérien. Au programme, nuit en
yourte et randonnée à cheval au milieu de steppes boisées, traversées par des rivières et parsemées de yourtes nomades. Le cheval mongol, de petite taille, docile, résistant et
endurant est le compagnon indispensable du nomade mongol et du touriste désireux de s’initier au plaisir de la randonnée équestre.
À droire : chameaux dans le désert de Gobi.