Salaün
Magazine
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Eltsine, originaire d’un village environnant, y fut étudiant
et chef de la section régionale du Parti. C’est lui qui signa la
l’arrêt de mort de l’Union soviétique en s’opposant aux géné-
raux de Gorbatchev en 1991.
Attablés autour d’un café en compagnie d’Alexeï, un Russe,
ancien guide sur le Transsibérien, qui tient deux cafétérias en
ville, nous évoquons le destin de cette ville qui ne dispose pas
des artifices de Moscou ou Saint-Pétersbourg pour s’inventer
une modernité tapageuse. Ici, l’histoire de la Russie se lit sur
les visages, les immeubles fatigués, la tour de télévision à la
mode soviétique, jamais achevée. Le présent se trouve plu-
tôt du côté de ces jeunes danseurs en costume traditionnel
qui, à deux pas de l’Isset, nous invitent à partager leurs qua-
drilles. Une Russie d’aujourd’hui, qui vit à un rythme modéré
et renoue avec le temps de l’avant-communisme. Manquent
cependant à ce tableau presque enchanteur de fin d’après-
midi des figures pourtant associées à la Russie profonde, ces
retraités un peu usés qu’on voyait jadis à tous les coins de
rue. “Ce n’est plus leur ville, ce n’est plus leur temps, nous
explique avec émotionMaïa, notre guide. Ils ne comprennent
pas les valeurs des gens d’aujourd’hui et ne sortent plus beau-
coup de chez eux”.
Il nous aurait fallu plus de temps pour découvrir le musée
des Minéraux et surtout celui du Chemin de fer, installé dans
l’une des deux gares désaffectées. La gare du Transsibérien
d’aujourd’hui déborde quant à elle de vitalité. Le train
s’ébroue. Nous entrons en Sibérie occidentale, l’Europe est
derrière nous.
Autour de nous les voyageurs ont trouvé leur rythme de croi-
sière. On échange quelques mots à la sortie de son comparti-
ment, on parle des prochains arrêts. On s’amuse aussi à se de-
mander l’heure car le train franchit allègrement les fuseaux
horaires. Entre Moscou et Irkoutsk, nous devrons changer
d’heure cinq fois ! Comment savoir quand se fait le change-
ment, alors que l’on est sans cesse enmouvement ? Chacun se
perd en conjectures au point d’en perdre la boussole. De jour
comme de nuit, on devine l’approche d’une nouvelle gare
à l’effervescence qui gagne le wagon. Les pronostics vont
bon train quand au temps d’arrêt. Nos voisins allemands sont
prêts à bondir. Une fois les portes ouvertes, une course contre
la montre s’engage. Les uns se précipitent vers les kiosques
ou les commerçants qui longent les quais. Une dame au vi-
sage marqué propose des poissons fumés, sa concurrente des
beignets à la viande. Fourrures et chapkas font aussi par-
tie des incontournables. Les autres traversent en courant
les couloirs couverts de marbre et de fresques des grandes
gares transsibériennes. Les agents de sécurité ne semblent
aucunement surpris par ces hordes hilares. L’objectif est de
sortir photographier le nom des gares traversées à défaut de
pouvoir découvrir toutes les villes. On se prend au jeu et les
lettres qui forment les mots Omsk ou Novossibirsk, “la cathé-
drale du Transsibérien”, sur mon capteur d’appareil photo,
me donnent le frisson. Nous sommes en Sibérie, non loin des
anciens grands goulags et des épopées ferroviaires qui ont
inspiré ce voyage. En prenant quelques photos de la gare de
Krasnoïarsk, à 4098 km de Moscou, tard dans la nuit, je réa-