Salaün
Magazine
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qui sorte des sentiers battus et des «must
do » romains. Comment parler avec ori-
ginalité d’une ville multimillénaire, l’une
des plus visitées au monde, sans égrener
un chapelet de clichés ? Comment évoquer
la fontaine de Trévise sans mentionner
la baignade d’Anita Ektberg et Marcello
Mastroianni dans la
Dolce Vita
? Pouvait-
on évoquer le romantisme de la Piazza
Navone, du Campo de’ Fiori ou du Pan-
théon sans que les premiers auteurs des
Guides verts ne se retournent dans leurs
tombes ? Même dans l’avion qui survolait
la Toscane, les images de gladiateurs dans
les ruines, de gelati aux milles parfums, de
coups d’aviron sur l’étang du parc de la
villa Borghèse, de baisers langoureux du
haut de l’escalier d’Espagne tournoyaient
dans mon esprit inquiet : clichés, clichés
et encore clichés… Il me restait quelques
espoirs, comme ce quartier un peu bohême,
entrevu il y a une vingtaine d’années, de
l’autre côté du Tibre, qui m’avait semblé
prometteur. Il y avait aussi les pistes que
me livreraient quelques Bretons de Rome,
que nous devions rencontrer dans le cadre
d’une émission que nous préparions pour
une chaîne de télévision bretonne. Mais
surtout, il me restait la botte secrète, celle
qui me mènerait forcément à une autre
Rome, sans la quitter d’une semelle : la
Vespa, le « scoot des scoots », né à Gênes
mais taillé pour Rome, ses collines et son
air chaud, ses robes légères et ses lunettes
de soleil… Cliché, encore, vous dites ? Oui
et non ! On connaît tous quelqu’un qui a
jeté une pièce par dessus son épaule dans
la fontaine de Trévi, bu une bouteille de
Frascati (le vin des collines voisines) ou
mangé une pizza inoubliable sur une
charmante place romaine… Mais côté
Vespa, mis à part l’ami Marcello, qui
nous a véritablement fait traverser la
cité éternelle sur « la guêpe », ce scooter
aux lignes indémodables, inventé il y a
près de soixante ans par les ingénieurs
de Piaggio ?
En faisant basculer l’élégante Vespa sur
sa béquille centrale, j’achevais de me
convaincre que le cliché du scooter filant
dans Rome méritait d’être revisité car,
comme la religion dont cette ville est la
capitale, il comptait finalement beaucoup
plus de croyants que de pratiquants.
Un clignotant, un coup d’accélérateur et
la magie romaine est à l’œuvre. La chaleur
étouffante qui faisait ruisseler mes tempes
quelques instant plus tôt s’est muée en
une délicieuse brise. Après quelques
jours passés à sillonner Rome à pied, sa
traversée en Vespa est un festin pour le
regard : en filant tranquillement sur ses
larges avenues —étonnamment calmes et
rassurantes en cette fin d’été—, on a tout le
loisir de multiplier les perspectives sur les
sites visités en bipède. Le moteur quatre
temps siffle tranquillement au milieu de
l’avenue de la
Via Nazionale
, qui descend
vers la cité antique. Le gigantesque monu-
ment Victore Emmanuel III apparait en
contrebas. A cause de son allure étrange
et massive, les Romains l’ont baptisé
« la machine à écrire sans caractère ». Ma
Vespa contourne la place qui fait face à
l’hôtel de ville et sur la façade du palais
de Venise, j’aperçois le balcon d’où Mus-
solini prononça de nombreux et funestes
discours. Les policiers qui gardent l’entrée
En haut, la douceur de la
nuit romaine permet aux
locaux et aux touristes de
dîner en extérieur dans les
nombreux petits retaurants
du quartier de Trastevere. En
bas, assortiment de pâtes au
marché de Campo de’ Fiori.