Salaün
Magazine
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chanteuse de jazz installée à New-York,
qui se produisait dans un bar de la ville,
le soir de mon arrivée. Dès la sortie du
métro commence un jeu d’orientation,
dont les règles sont simples et logiques,
mais qui ne manque de fasciner et dérouter
le voyageur découvrant pour la première
fois le plan en damier des villes nord
américaines. Les avenues sont numérotées
de 1 à 10 d’est en ouest et les rue de 1
à 220 du sud au nord. Facile. Sauf qu’à
son extrémité sud, l’île a tout de même
conservé de nombreuses rues et ruelles
qui ne suivent plus le tracé rectiligne du
reste de Manhattan et portent même de
vrais noms. Certaines, comme Bowery
ou Houston Street, qui a donné son nom
à Soho (South of Houston Street), sont
mythiques. Il y a aussi Broadway, l’une
des plus anciennes artères de la ville, dont
personne n’a osé rectifier la diagonale qui
traverse Central Park puis Times square
avant de plonger vers Soho et la City.
Une cité dans les cieux
Occupé à chercher l’Est et l’Ouest par
déduction arithmétique, j’en oublie
presque de prendre la mesure de l’espace
aérien qui me surplombe. Le choc est à
la hauteur du paysage. Même prévenu,
même nourri depuis l’enfance par des
dizaines d’images de gratte-ciels en
construction, de tours baignées par les
nuages, servant tour à tour de terrain de
jeu à l’homme araignée ou à King-Kong,
le choc est garanti. Comment ne pas
retenir son souffle lorsqu’on sort pour la
première fois du Subway, le métro, dans
les quartiers aériens de Midtown ou de
la City, les deux « centres du centre » de
New-York ? Subjugué par la hauteur, bien
sûr, mais aussi frappé, presque vexé de
reconnaître une réelle beauté à ces pano-
ramas vertigineux. Une forêt d’arêtes, de
bouts de ciel massicotés, de lignes de fuites
sans cesse contrariées, découpent le ciel
en une géométrie inconnue ailleurs. On
pourrait donner mille explications à ce
paradoxe qui contrarie ceux qui avaient
définitivement rangé les tours au rayon
des bourdes monumentales de l’architec-
ture du XXe siècle. Face à un tel spectacle,
on peut comprendre l’euphorie et la
fierté de ceux qui ont permis à l’homme
de travailler et d’habiter dans le ciel. En
bâtissant New-York dans les airs, ils ont
donné naissance à une véritable chaîne
de gratte-ciels, faite de pics, de plateaux,
d’aiguilles qui culminent dans certains
endroits de l’île et s’affaissent totalement
en d’autres. Manhattan n’a en effet rien
de l’allure d’un quartier d’affaires parisien
ou londonien : vu du balcon de l’Empire
State building, le sommet des gratte-ciels
de Manhattan forme une ligne d’hori-
zon qui ondule de sommets vertigineux
en vallées urbaines où les immeubles
deviennent des maisons de trois étages,
formant des quartiers coquets et presque
bucoliques, comme Chelsea ou Soho, où
les rues pavées sont bordées d’arbres et où
l’on ne devine plus du tout la présence de
ces colosses de briques, de métal ou de fer.
L’histoire de ces gratte-ciels a elle-même
de quoi fasciner. Lorsqu’elle débute, à la
fin du XIXe, les bâtisseurs s’inspirent des
courants artistiques en vigueur en Europe
à l’époque. Néo-gothique ou néo-clas-
sique, ils sont alors parés d’ornements et
de fantaisies qui évoquent les bâtiments
religieux et civils du Vieux monde.
Pendant la vague Art Déco, ils sont cou-
verts de fresques, d’éléments de métal,
de moulures, de marbrures. C’est à cette
époque que sont édifiées les plus belles
réalisations, comme la tour GE, au sein
du Rockefeller centre, la tour Chrysler et
bien sûr l’Empire State Building. La tour
baptisée One World trade center, dont la
construction sera achevée en 2013, sur
le site des Twin towers, est désormais la
plus haute de la ville. Elle culminera à
541,32 mètres. Après la Seconde Guerre
mondiale, plus austères, elles adoptent le
style continental, proche des gratte-ciels
de nombreuses villes d’Europe, qui se
distinguent par leur verticalité souvent
rigide. Pourtant, à New-York, dès l’entre
deux guerres, une loi destinée à limiter
les effets de courants d’airs et l’assom-
brissement des rues a forcé les bâtisseurs
à affiner les immeubles par paliers, du
rez–de-chaussée à leur sommet. D’où ces
escaliers de démiurges qui fascinent le
monde entier. A la fin du XXe siècle, les
gratte-ciels semblent d’ailleurs avoir troqué
leur quête de hauteur contre une recherche
de diversité, de formes, ne craignant plus
les courbes, les façades arrondies et jouant
davantage sur les couleurs et les matériaux,
notamment le verre et ses reflets.
En portant de nouveau mon regard à hau-
teur d’homme, je repère le bar belge où le
concert de jazz bat son plein, devant une
cinquantaine de spectateurs. Ici comme
dans de nombreux clubs de la ville, cette
musique est une quasi-religion. Les New-
Yorkais viennent facilement dîner dans
un de ces clubs mythiques où l’ombre
des grands d’hier plane sur les épaules de
ceux d’aujourd’hui. Quelques jours plus
tard, au Birdland, le club dont Charlie
Parker tenait l’affiche au début des années
1950 et qu’il avait surnommé « La Mecque
mondiale du jazz », aujourd’hui situé sur
la 44e rue, près de la vibrante 8e avenue,
je découvrirai avec fascination la jazz-
étiquette new-yorkaise : un repas entier
pris dans le silence, pas un bruit de four-
chette, pas un éclat de voix, les murmures
sont tolérés à grand peine. Entendre les
meilleurs
jazzmen
du monde dans un tel
lieu – on en compte une bonne dizaine
à New-York, où le jazz connaît un vrai
renouveau - est inoubliable. Dans le bar
belge de la 53e rue où Marie Martin et
ses musiciens terminent leur
set
, on me
conseille de descendre à pied vers Times
Square, une des places les plus connues au
monde. En chemin, les tours qui s’élèvent
autour de moi continuent à me fasciner.
Il faut soigner sa première arrivée sur
Times Square, de nuit de préférence, car
son caractère vient essentiellement de la
forêt de néons qui présentent les grands
spectacles de music-hall de Broadway. De
jour, c’est ici que l’on reviendra acheter
des billets pour les shows du soir, comme
Spiderman, Chicago, Le Roi Lion, le fan-
tôme de l’Opera, Mamma mia ou encore
West Side Story, qu’ils soient sur Broadway
ou «Off Broadway », dans les alentours.
Leur nombre est hallucinant, les mises
en scène incroyables, la légende intacte.
Pour le reste, Times Square est bondé et
fait office d’aimant touristique, idéalement
placé pour rayonner dans tout Manhattan.
On s’y fait photographier aux côtés d’un
cow-boy en slip, on y mange des hot-dogs
et on se contente passivement d’être là,
ensemble, par milliers, comme devant le
centre Pompidou, la fontaine de Trevi ou
sur la place Saint-Marc de Venise.
L’île de la Liberté
Au lever du jour, un soleil de plomb cogne
sur Williamsburg, de l’autre côté de l’Est
River. Les entrepôts poussiéreux, les ter-
rains de baskets clôturés et les parkings
grillagés rappellent les images des séries B
des années 1970. Ce n’est en effet plus à
Manhattan que l’on cherchera ces sombres
impasses où se terminent tant de courses
«Face à un tel spectacle, on
peut comprendre l’ euphori e et
la f i erté de ceux qui ont permi s
à l’homme de trava i ller et
d’habi ter dans le ci el» .
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