des années 1770, les Acadiens, chassés du Canada par les An-
glais, vinrent s’installer en Louisiane, où le français et la re-
ligion catholique étaient encore très présents par l’entremise
des descendants des colons, des missionnaires et des créoles
blancs nés sur place. Prononciation oblige, les Acadiens ou
Cadiens devinrent les Cajuns. Le mémorial de Saint-Martin-
ville, à une trentaine de kilomètres de Lafayette retrace leur
destin. Connus sans l’être, les Cajuns fascinent et forcent le
respect des Américains tout autant que des visiteurs. Gastro-
nomie, culture, sens de la fête, musique, bayous légendaires :
le pays cajun vibre au son d’une identité créole et franco-
phone longtemps réprimée, mais qui cimente aujourd’hui le
pays et lui donne une remarquable énergie.
C’est le milieu de soirée à Lafayette, la capitale du pays,
nommée en hommage au héros français de la guerre d’In-
dépendance américaine. L’ambiance est torride. Portés par
leurs inépuisables accordéonistes, les groupes de musique
cajun se succèdent sur la scène du
biergarten
. Les danseurs
connaissent à l’évidence leur affaire. Personne ne semble
gêné par les nuances entre la musique cajun, cette musique
traditionnelle issue de l’Acadie et de l’ouest de la France, in-
fluencée par les arrivants espagnols, irlandais ou afro-antil-
lais, et le zydeco. Cette dernière est la musique créole noire,
aux influences plus soul et blues, également originaire du
sud-ouest de la Louisiane. L’une comme l’autre sont prétextes
pour danser et apprécier les richesses engendrées par la créo-
lisation culturelle à l’œuvre en Louisiane depuis des siècles
et qui fait dire aux Cajuns et Créoles qu’ils sont “premiers
cousins.”
scott
,
capitale du boudin
Le pays cajun est aussi le paradis des amateurs de bonne
chère. À quelques kilomètres de Lafayette, Scott est officiel-
lement la capitale mondiale du boudin, une délicieuse sau-
cisse épicée dont le nom vient d’Europe mais qui n’a rien
à voir avec le boudin de métropole ou des Antilles. Il fait
l’objet d’un culte dans toute la région, et on ne peut pas plus y
échapper qu’aux célèbres écrevisses. Savamment épicés, ces
crustacés du bayou font partie des mets traditionnels locaux
avec la viande d’alligator. Il n’est pas non plus rare d’être in-
vité, comme je l’ai été, à partager un autre plat emblématique
de la Louisiane, le gumbo, une soupe aux légumes épicée,
agrémentée de poulet, de canard ou de fruits de mer et servie
avec du riz. Elle a pour ingrédient principal le fruit d’une
fleur tropicale, appelée okra en Louisiane et connue ailleurs
comme le gombo, cabo ou calou. À ne pas confondre avec
un autre plat emblématique, le jambalaya, un ragoût de riz,
de légumes, de viandes ou encore de fruits de mer qui est
souvent prétexte à des réunions entre amis et familles. Dans
un jardin de Lafayette, je sirote une bière en observant les
hommes s’affairer avec gravité autour d’une grande casserole
où mijote le futur gumbo. Des notes de musique s’échappent
des baies de la grande maison en bois où sont réunis Cajuns et
invités. Les chanteurs entonnent des chants en français avec
émotion et fierté en présence de francophones d’Europe. La
nuit est loin d’être finie.
MARDI GRAS
La Nouvelle-Orléans est connue dans le monde
entier par le jazz mais aussi pour son carnaval,
qu’on appelle toujours Mardi gras. Il remonte
aux toutes premières heures de la colonisation.
Explorant le Mississippi, le 2 mars 1699, Jean-
Baptiste Le Moyne, sieur de Bienville, fit une
halte la veille de Mardi gras sur une terre située
à 60 km de La Nouvelle-Orléans qu’il nomma la
pointe de Mardi gras. Porteurs des traditions
européennes médiévales, les Français, puis les
Espagnols célébrèrent naturellement Mardi gras
en Louisiane, avant que cette fête ne s’étende à
tout le pays. Mais c’est à La Nouvelle-Orléans que
le phénomène prend une ampleur exceptionnelle.
Chaque année, les
Krewes
, des dizaines de clubs,
descendants lointains des sociétés secrètes
fondées par les premiers colons, préparent leurs
chars et défilent entre l’Épiphanie et Mardi gras,
jour de la grande parade. En 2018, elle aura lieu le
13 février. Le jour du carnaval, toute la ville est en
ébullition. Du haut de leurs chars, les membres
des
krewes
, masqués, lancent des colliers et
des doublons – des pièces dorées – à la foule
qui se presse le long de Saint-Charles Avenue
et dans le quartier français. On y danse, on y
mange et on y boit dans une réelle allégresse
collective. Pour découvrir Mardi gras hors
saison, on peut se rendre à Mardi Gras World,
un musée consacré au célèbre carnaval.
reportages
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Salaün
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