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spécial
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afrique
Salaün
Magazine
| Page 43
Impossible de poser son regard
sur les rochers au seuil de la
“porte sans retour” sans etre
saisi d’émotion...
la tradition du ravalement desmaisons. Un descendant
princier de l’empire du Ghana est là pour guider le voyageur : il
a quitté son champ pour accueillir le passant, qui dira ailleurs
dans lemonde qu’il y a ici un village qui s’appelle Tiébélé.
Le cœur de la brousse propose demultiples étapes de ce genre
à l’ombre de grands arbres, les géants caïlcédrats et balanzan.
Et millemonuments font mentir les préjugés : l’Afrique, qui a
connu et d’immenses fastueux empires, n’est pas en panne de
l’histoire…Nous en avons d’ailleurs une part grise en commun,
celle de l’esclavage et de la colonisation… C’est un héritage
commun qui dépasse les infrastructures, routes et lignes de
chemin de fer, qui dépasse les organisations administratives
au sein des frontières d’aujourd’hui. Au large des polémiques
et des interprétations, la domination du nord sur le sud
appartient à l’histoire. Et maintes traces en font témoignage.
LaMaison des esclaves de l’île de Gorée, au large de Dakar,
est connue dumonde entier. Gorée est d’ailleurs l’un des
premiers sites de la Liste du patrimoinemondial de l’humanité.
Impossible de poser son regard sur les rochers au seuil de
la “porte sans retour” sans être saisi d’émotion. Cette porte,
c’était l’adieu à la terre de ses ancêtres. Chaque jour, des
visiteurs, notamment afro-américains et latinos, y viennent
en pèlerinage. D’autres lieux de sinistremémoire accueillent
le voyageur. LaMaison des esclaves d’Agbodrafo, près de
Lomé, aux abords du lac Togo, a tourné à plein régime du
XVII
e
siècle à la fin du XIX
e
siècle. C’est un lieu d’horreur encore
dans son jus. Le plancher de la jolie salle àmanger dumaître
s’ouvre avec une trappe : les captifs s’entassaient là pour
s’habituer aux conditions terribles d’un voyage à fond de
cale. Plus loin, sur la côte du Congo-Brazzaville, c’est Loango,
au sud de Pointe-Noire, qui sombre dans l’oubli des hautes
herbes : l’emplacement de ce port négrier est marqué par
troismanguiers, mais seule une stèle en ruine témoigne
du drame. De lieu en lieu, dans le silence de sa conscience,
chacun prend lamesure de l’atroce traite négrière qui hantera
les esprits pour longtemps. Partir en voyage, c’est aussi
pour en revenir différent, enrichi de ses étonnements.
En haut : la salle à manger du maître négrier d’Agbodrafo :
les captifs étaient entassés sous le plancher...
En bas : le monument de Gorée: les esclaves ont brisé leurs chaînes.