Salaün
Magazine
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actu
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iran
moyenâgeux d’Arabie saoudite ! Cette géopolitique de salon s’est
installée durablement dans tous les cénacles nationaux et inter-
nationaux. À l’ayatollah qui nous traitait de « Satan », nous répon-
dions, comme le Président des USA, que le pays était le « mal ».
On illustre bien là notre incapacité collective à prendre du recul et
à examiner froidement où est notre intérêt, tandis que nous cata-
loguons rapidement nos interlocuteurs internationaux en « bons
» ou en « méchants ». Nous respectons Talleyrand, mais nous
voulons nous montrer « purs » ! Or, en politique internationale, il
n’existe, sur le long terme, que la «
realpolitik
».
Regardons donc un peu ce que représente l’Iran dans le monde
d’aujourd’hui, et ce que nous pouvons faire pour réacclimater ce
grand peuple dans notremonde.
Tout d’abord, les ayatollahs représentent une aile minoritaire
de l’islam qui n’est aucunement liée aux terroristes qui nous
menacent. Les chiites iraniens, irakiens et autres ne corres-
pondent pas à notre mode de vie. Le poids de la religion est in-
supportable en Iran pour les Iraniens et un peu pour les visiteurs,
mais le sunnisme wahhabite de l’Arabie saoudite fait beaucoup
plus de ravages dans le pays lui-même, comme dans le monde
entier, et ceci depuis des dizaines d’années ! Les terroristes
d’aujourd’hui sont les enfants de cette interprétation stupide du
Coran dont les promoteurs ont été à Ryad, pas à Téhéran. Nous
n’aurionspasdûconsidérer que, puisque les «méchants » étaient
iraniens, les Saoudiens, opposés historiquement à ceux-ci, deve-
naient les « bons ». On ne vivait pas dans un western, on était au
Moyen-Orient, dans un univers d’une rare complexité, et la lec-
ture des «
Sept Piliers de la sagesse
» de Lawrence d’Arabie aurait
dû être méditée par nos commentateurs et politiciens. C’était «
plus compliqué » que cela. Ni les théocraties ni les monarchies
ne sont des démocraties, mais des peuples chargés d’histoire
et culturellement féconds ne sont jamais pour toujours soumis
aux dictateurs rétrogrades. Par contre, ceux qui n’ont connu que
le désert et l’ignorancemettront du temps à accepter l’éducation
et l’esprit critique qui l’accompagne. C’est donc bien le sunnisme
du désert qui nous menace aujourd’hui, et non le chiisme ! C’est
un fait que nous devons considérer.
Le chiisme est un islam de minoritaires, celui des pauvres, des
exclus, mais il devient, au xvi
e
siècle, avec la dynastie séfévide, la
religion officielle et obligatoire de l’Empire perse. Ce n’est qu’au
xviii
e
siècle, avec la dynastie Qadjar, que l’assimilation entre Iran
et chiisme est devenue effective. La révolution islamiquede1979
est venue consacrer cette évolution, tandis que des minorités
non chiites continuent à exister au sein de l’Iran actuel.
L’opposition frontale entre les Arabes et les Perses est loin
d’être seulement religieuse, les hommes du Golfe ont toujours
été considérés comme incultes par les Perses. Certes, il exis-
tait l’Arabie « heureuse » du plateau yéménite, et les voyageurs
infatigables du sultanat d’Oman, qui avait investi la côte est de
l’Afrique avec Zanzibar, il y avait Bagdad et ses califes, mais les
hommes qui vivaient sous des tentes avec leurs chameaux ne
trouvaient pas grâce aux yeux des Iraniens. C’étaient des sau-
vages, et, malheureusement, c’était là-bas qu’était né le Prophète
et qu’étaient enterrés quelques saints vénérés, chez les Arabes
irakiens à Nadjaf. Le pétrole a été un moteur nouveau, transfor-
mant une méfiance, un mépris en une rivalité, et c’est ainsi que
doit être étudiée la géopolitique au Moyen-Orient, les sunnites
contre les chiites, les Perses contre les Arabes, deux religions
antagonistes et deux civilisations qui s’interpénètrent, avec des
solidarités doubles ou triples et évolutives.
L’Iran s’est toujours considéré comme une grande puissance ré-
gionale, prise en tenaille entre les Turcs, les Arabes et les Indiens.
LaRussiesoviétiqueaajouté leNordcommemenaceet ladynas-
tie Qadjar a fini par accepter le parapluie britannique comme pro-
tection. La chute de l’Empire ottoman, la création de nouveaux
États dans le Golfe, l’exploitation du pétrole régional ont conduit
Téhéran, embouteillage dans le tunnel Torid.
L’Iran s’est toujours
considéré comme une grande
puissance régionale, prise
en tenaille entre les Turcs,
les Arabes et les Indiens.